LE JEU DE L’IMAGINATION ET DE LA FICTION CHEZ HUME ET CHEZ BENTHAM La philosophie de Hume est symptomatique d’une conduite classique à l’égard de l’imagination, de la fiction et de la croyance par laquelle on se rapporte au réel. On en découvre immédiatement les indices dans l’héritage et la reprise des philosophèmes classiques à travers lesquels passe et se figure, par une expérience elle-même imaginaire, une théorie ordinaire de l’imagination à l’âge classique : on retrouve, par exemple, la fameuse cage dans laquelle on enferme le philosophe1. Les auteurs classiques, de Montaigne à Kant, -qu’il s’agisse de Descartes, de Spinoza, de Pascal, de Leibniz, de Malebranche- ont considérablement développé la théorie de ce qu’ils appelaient l’imagination, en croyant probablement, et en nous faisant croire encore aujourd’hui, qu’ils parlaient de quelque chose par là. Que mettaient-ils sous ce terme d’imagination ? De quoi parlaient-ils sous ce vocable convenu ? En d’autres mots, ce qui nous intéresse ici ce n’est pas de traiter de l’imagination comme si elle existait ; mais c’est du choix idéologique de parler de cette notion et de la préférer à d’autres. Ce qui est sûr d’entrée de jeu, c’est que si les classiques développent délibérément et amplement une théorie de l’imagination en croyant savoir ce qu’ils font, ils ne disent rien ou que très peu de chose de la fiction, quoiqu’ils aient toujours paradoxalement usé de la notion de fiction avec un discernement sans faille, qui permettait de la distinguer du sens négatif de l’erreur et de l’entendre, en toute positivité, dans le sens latin de fingere. Pourquoi a-t-on préféré théoriser, à l’âge classique, ce qu’on a appelé l’imagination alors que, pour ce qui est de la fiction, on s’est contenté d’en bien user en de petits segments de théorie ? De ce point de vue, Hume n’a rien changé et il fait le même choix que Descartes ou que Leibniz. Nous voulons diagnostiquer ce choix. Bentham nous donne des éléments pour penser cette