Fin de partie
" C’est le défaut des Romans ; l’Auteur se bat les flancs pour s’échauffer, et le Lecteur reste froid. " Lettre 33, de la Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont. 1. Laclos héritier d’une tradition :
Historiquement, la vogue des romans par lettres s’explique par la lassitude du public à l’égard de la fiction romanesque. Le roman épistolaire fait entendre des " je ", des sentiments, des pensées, qui sont l’œuvre d’ épistoliers authentiques, non d’un auteur qui " se bat les flancs " pour imiter la réalité. Le genre du roman épistolaire se développe à la fin du XVIIème siècle, et s’impose avec Les Lettres persanes de Montesquieu, en 1721. Cette œuvre, qui mêle subtilement les réflexions philosophiques et politiques aux intrigues de sérail, exploite la polyphonie, c’est-à-dire la multiplication des points de vue, en multipliant le nombre des épistoliers. Seul le lecteur dispose de l’intégralité de la correspondance, et profite ainsi d’une vue surplombante sur l’ensemble de l’action. Rousseau, avec Julie ou La Nouvelle Héloïse (1761) va lui aussi utiliser la polyphonie, mais va surtout faire de la lettre un instrument d’analyse psychologique, un témoignage de sentiments authentiques. Que l’on songe à la longue lettre-confession de Julie, l’héroïne, dans la troisième partie, lettre XVIII. Samuel Richardson a connu un succès immense avec Paméla ou la vertu récompensée (1740) et Clarisse Harlowe (1747-1748). Ces deux romans épistolaires ont servi de modèle à Laclos, tout comme ceux de Rousseau et de Montesquieu. Autrement dit, Laclos n’innove pas lorsqu’il choisit la forme épistolaire. Empruntant à Montesquieu l’utilisation subtile des décalages temporels et géographiques engendrés par la correspondance, à Rousseau la finesse des sentiments, le plaisir de la conversation entretenue par lettres interposées, à Richardson ses personnages de séducteurs et de jeunes femmes victimes de ceux-ci, il fait, avec Les Liaisons dangereuses une œuvre