Flaubert l'éducation sentimentale
3) Le lendemain qu’elle fut arrivé, elle alla pour assortir des pierres chez un Italien 4) qui en trafiquaient par tout le monde. Cet homme était venu de Florence avec la 5) reine et s’était tellement enrichie dans son trafic que sa maison paraissait plutôt 6) celle d’un grand seigneur que d’un marchand. Comme elle y était, le prince de 7) Clèves y arriva. Il fut tellement surprie de sa beauté qu’il ne pût cacher sa 8) surprise, et Mlle de Chartres ne put s’empêcher de rougir en voyant 9) l’étonnement qu’elle lui avait donnée. Elle se remit néanmoins, sans témoigner 10) d’autre attention aux actions de ce prince que celle que la civilité lui devait 11) donner pour un homme tel qu’il paraissait. M de Clèves la regardait avec 12) admiration, et il ne pouvait comprendre qui était cette belle personne qu’il ne 13) connaissait point. Il voyait bien par son air, et par tout ce qui était à sa suite, 14) qu’elle devait être d’une grande qualité. Sa jeunesse lui faisait croir que c’était 15) une fille, mais, ne lui voyant point de mère, et l’Italien qui ne la connaissait 16) point l’appelant madame, il ne savait que penser, et il la regardait toujours avec 17) étonnement. Il s’aperçut que ses regards l’embarrassaient, contre l’ordinaire des 18) jeunes personnes qui voient toujours avec plaisir l’effet de leur beauté ; il lui 19) parut même qu’il était cause quelle avait de l’impatience de s’en allé, en effet 20) elle sortit assez promptement. M de Clèves se consola de la perdre de vue dans 21) l’espérance de savoir qui elle était, mais il fut bien surpris quand il sut qu’on ne 22) la connaissait point. Il demeura si touché de sa beauté et de l’air modeste qu’il 23) avait remarqué dans ses actions, qu’on peut dire qu’il conçut pour elle dès ce 24)