Fonction du poete
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DERNIÈRE NUIT DE TRAVAIL DU 29 AU 30 JUIN 1834 Ceci est la question. Je viens d’achever cet ouvrage austère dans le silence d’un travail de dix-sept nuits. Les bruits de chaque jour l’interrompaient à peine, et, sans s’arrêter, les paroles ont coulé dans le moule qu’avait creusé ma pensée. À présent que l’ouvrage est accompli, frémissant encore des souffrances qu’il m’a causées, et dans un recueillement aussi saint que la prière, je le considère avec tristesse, et je me demande s’il sera inutile, ou s’il sera écouté des hommes. — Mon âme s’effraye pour eux en considérant combien il faut de temps à la plus simple idée d’un seul pour pénétrer dans le cœur de tous. Déjà, depuis deux années, j’ai dit par la bouche de Stello ce que je vais répéter bientôt par celle de Chatterton, et quel bien ai-je fait ? Beaucoup ont lu ce livre et l’ont aimé comme livre, mais peu de cœurs, hélas ! en ont été changés. Les étrangers ont bien voulu en traduire les mots par les mots de leur langue, et leurs pays m’ont ainsi prêté l’oreille. Parmi les hommes qui m’ont écouté, les uns ont applaudi la composition des trois drames suspendus à un même principe, comme trois tableaux à un même support; les autres ont approuvé la manière dont se nouent les arguments aux preuves, les règles aux exemples, les corollaires aux propositions; quelques-uns se sont attachés particulièrement à considérer les pages où se pressent les idées laconiques, serrées comme les combattants d’une épaisse phalange; d’autres ont souri à la vue des couleurs chatoyantes ou sombres du style : mais les cœurs ont-ils été attendris ? — Rien ne me le prouve. L’endurcissement ne s’amollit point tout à coup par un livre. Il fallait Dieu lui-même pour ce prodige. Le plus grand nombre a dit en jetant ce livre : Cette idée pouvait en effet se défendre. Voilà qui est un assez