Les témoignages recueillis ici confirment les statistiques : l’immense majorité des gens utilisent leur appareil dans le but exclusif de réaliser des photographies de leur famille, à l’occasion des fêtes, réunions, événements marquants, vacances. Cette chronique visuelle revêt souvent, mais pas toujours, la forme organisée d’un ou plusieurs albums, véritables livres d’heures de la vie familiale, entamés très souvent à la naissance des premiers enfants, voire plus tard, au gré des loisirs de la retraite ou à la suite du décès du conjoint. Leur consultation devient une occasion rituelle d’évoquer la mémoire de la famille et, selon l’espoir des générations les plus âgées, de la transmettre aux plus jeunes. Les petits-enfants sont les destinataires privilégiés de cette mise en monument des clichés familiaux.Parmi ces vieilles photos, certaines ont connu une diffusion élargie : les cartes postales. Il arrivait aux familles bourgeoises de recourir à ce mode d’impression pour diffuser leurs portraits collectifs à l’ensemble de leurs relations. Mais, plus souvent, l’initiative n’en revenait pas à la personne représentée : celle-ci se trouvait incluse dans une scène entièrement agencée par un photographe professionnel chargé de photographier une rue de village, des halles pittoresques ou un groupe d’enfants pour les cartes de vœux.
71 « Quand un photographe de cartes postales venait dans le patelin, il faisait sortir les artisans, les gosses des écoles, les gens quoi. On voyait bien que les gens posaient. Alors, le forgeron avait son marteau sur l’épaule, etc. » (fils d’artisans ruraux).
72« Il y avait des photographes qui passaient aux halles et qui proposaient de nous photographier devant nos bancs de poissons. J’aurais dû en garder, mais je ne sais pas où je les ai mises. » Ce fils de paysan devait déjà son premier portrait à un photographe ambulant. Lui-même reçut un appareil en 1946, dont il ne se servit guère.