Il est deux situations dans la vie où le profane lui-même se rend compte que l'oubli de projets n'est nullement un phénomène élémentaire irréductible, mais autorise à conclure à l'existence de motifs inavoués. Je veux parler de l'amour et du service militaire. Un amoureux qui se présente à un rendez-vous avec un certain retard aura beau s'excuser auprès de son amie en disant qu'il avait malheureusement oublié ce rendez-vous. Elle ne tardera pas à lui répondre : "Il y a un an, tu n'aurais pas oublié. C'est que tu ne m'aimes plus." Et si, ayant recours à l'explication psychologique mentionnée plus haut, il cherche à excuser son oubli par des affaires urgentes, l'amie, devenue aussi perspicace en psychanalyse qu'un médecin spécialiste, lui répondra :" Il est bizarre que tu n'aies jamais été troublé par tes affaires. " Certes, l'amie n'excluera pas toute possibilité d'oubli; elle pensera seulement, et non sans raison, que l'oubli non intentionnel est un indice presque aussi sûr d'un certain non-vouloir qu'un prétexte conscient.
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C'est encore par un conflit entre un devoir conventionnel et un jugement intérieur non avoué que s'expliquent les cas où l'on oublie d'accomplir des actions qu'on avait promis d'accomplir au profit d'un autre. Le bienfaiteur est alors généralement le seul à voir dans l'oubli qu'il invoque une excuse suffisante, alors que le solliciteur pense sans doute, et non sans raison : " Il n'avait aucun intérêt à faire ce qu'il m'avait promis, autrement, il n'aurait pas oublié ". Il est des hommes qu'on considère généralement comme ayant l'oubli facile et qu'on excuse de la manière qu'on excuse les myopes, lorsqu'ils ne saluent pas dans la rue (1). Ces personnes oublient toutes les petites promesses qu'elles ont faites, ne s'acquittent d'aucune des commissions dont on les a chargées, se montrent peu sûres dans les petites choses et prétendent qu'on ne doit pas leur en vouloir de ces petits manquements qui s'expliqueraient, non par leur caractère,