Gallant
Musées privés et musées publics dans les derniers romans de Stendhal
Janine Gallant
À la toute fin des années soixante-dix, une psychiatre florentine, Graziella Magherini, fait la découverte de cas étonnants : des touristes étrangers sont soudainement pris de palpitations et de troubles psychiques alors qu’ils visitent les musées de Florence. Magherini recense et étudie pendant une dizaine d’années ces cas pour en arriver à publier, en 1989, un ouvrage ayant pour titre La sindrome di Stendhal. Le « syndrome de Stendhal » devient dès lors l’appellation officielle de cette sensation d’épuisement, de vertige dont sont victimes certains touristes lorsqu’ils sont exposés à une surcharge de tableaux, sculptures et autres œuvres d’art visuel. Il fait aussi son entrée dans la culture populaire, avec des films comme le Sindrome di Stendhal de Dario Argento, sorti en 1996. L’idée du nom pour son syndrome est venue à Magherini en lisant Stendhal, qui était peut-être lui-même atteint de ce trouble, si l’on se fie à ses récits de voyages en Italie. En effet, dans Rome, Naples et Florence, alors qu’il relate sa première visite de la capitale toscane, il déclare : « J'étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber » (272). Nous nous proposons donc de nous pencher sur le cas de Stendhal, atteint d’une sorte de « maladie des musées », afin de mesurer la place qu’il accorde à la figure du musée dans son univers romanesque. À première vue, la présence de la figure du musée dans les romans de Stendhal s’apparente à celle de la peinture en général : plutôt discrète au départ, elle s’accroît au fil des œuvres. En effet, dès Armance, le premier roman de Stendhal, les personnages se composent des sortes de petits musées privés