Goethe
LE DIRECTEUR, LE POETE DRAMATIQUE, LE PERSONNAGE BOUFFON
LE DIRECTEUR
Ô vous dont le secours me fut souvent utile, Donnez-moi vos conseils pour un cas difficile. De ma vaste entreprise, ami, que pensez-vous ? Je veux qu'ici le peuple abonde autour de nous, Et de le satisfaire il faut que l'on se pique, Car de notre existence il est la source unique. Mais, grâce à Dieu, ce jour a comblé notre espoir, Et le voici là-bas, rassemblé pour nous voir, Qui prépare à nos vœux un triomphe facile, Et garnit tous les bancs de sa masse immobile. Tant d'avides regards fixés sur le rideau Ont, pour notre début, compté sur du nouveau ; Leur en trouver est donc ma grande inquiétude : Je sais que du sublime ils n'ont point l'habitude ; Mais ils ont lu beaucoup : il leur faut à présent Quelque chose à la fois de fort et d'amusant. Ah ! mon spectacle, à moi, c'est d'observer la foule, Quand le long des poteaux elle se presse et roule, Qu'avec cris et tumulte elle vient au grand jour De nos bureaux étroits assiéger le pourtour ; Et que notre caissier, tout fier de sa recette, A l'air d'un boulanger dans un jour de disette... Mais qui peut opérer un miracle si doux ? Un poète, mon cher,... et je l'attends de vous.
LE POÈTE
Ne me retracez point cette foule insensée, Dont l'aspect m'épouvante et glace ma pensée, Ce tourbillon vulgaire, et rongé par l'ennui,
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Qui dans son monde oisif nous entraîne avec lui ; Tous ses honneurs n'ont rien qui puisse me séduire : C'est loin de son séjour qu'il faudrait me conduire, En des lieux où le ciel m'offre ses champs d'azur, Où, pour mon cœur charmé, fleurisse un bonheur pur, Où l'amour, l'amitié, par un souffle céleste, De mes illusions raniment quelque reste... Ah ! c'est là qu'à ce cœur prompt à se consoler Quelque chose de grand pourrait se révéler; Car les chants arrachés à l'âme trop brûlante, Les accents bégayés par la bouche tremblante, Tantôt frappés de mort et tantôt