Heidegger- question de la technique
Essais et conférences
LA QUESTION DE LA TECHNIQUE
[1953] (Éd. Gallimard, trad. André Préau, 1958, p. 9-48)
Dans ce qui suit nous questionnons au sujet de la technique. Questionner, c’est travailler à un chemin, le construire. C’est pourquoi il est opportun de penser avant tout au chemin et de ne pas s’attacher à des propositions ou appellations particulières. Le chemin est un chemin de la pensée. Tous les chemins de la pensée conduisent, d’une façon plus ou moins perceptible et par des passages inhabituels, à travers le langage. Nous questionnons au sujet de la technique et voudrions ainsi préparer un libre rapport à elle. Le rapport est libre, quand il ouvre notre être (Dasein) à l’essence (Wesen) de la technique. Si nous répondons à cette essence, alors nous pouvons prendre conscience de la technicité dans sa limitation.
La technique n’est pas la même chose que l’essence de la technique. Quand nous recherchons l’essence de l’arbre, nous devons comprendre que ce qui régit tout arbre en tant qu’arbre n’est pas lui-même un arbre qu’on puisse rencontrer parmi les autres arbres.
De même l’essence de la technique n’est absolument rien de technique. Aussi ne percevrons-nous jamais notre rapport à l’essence de la technique, aussi longtemps que nous nous bornerons à nous représenter la technique et à la pratiquer, à nous en accommoder ou à la fuir. Nous demeurons partout enchaînés à la technique et privés de liberté, que nous l’affirmions avec passion ou que nous la niions pareillement. Quand cependant nous considérons la technique comme quelque chose de neutre, c’est alors que nous lui sommes livrés de la pire façon : car cette conception, qui jouit aujourd’hui d’une faveur toute particulière, nous rend complètement aveugles en face de l’essence de la technique.
On a longtemps enseigné que l’essence d’une chose est ce que cette chose est. Nous questionnons au sujet de la technique, quand nous demandons ce qu’elle est. Un chacun connaît