Hernani
D'Aragon. La galerie des portraits de famille de Silva ; grande salle, dont ces portraits entourés de riches bordures, et surmontés de couronnes ducales et d'écussons dorés, font la décoration. Au fond une haute porte gothique. Entre chaque portrait une panoplie complète, toutes ces armures de siècles différents. Doña Sol, en blanc et debout devant une table. Don Ruy Gomez de Silva, en habits magnifiques, assis dans un grand fauteuil ducal de bois de chêne.
DON RUY GOMEZ.
Enfin! C'est aujourd'hui! Dans une heure on sera
Ma duchesse! Plus d'oncle!... et l'on m'embrassera!
Mais, m'as-tu pardonné? J'avais tort, je l'avoue.
J'ai fait rougir ton front, j'ai fait pâlir ta joue :
J'ai soupçonné trop vite, et je n'aurais point dû
Te condamner ainsi sans avoir entendu.
Que l'apparence a tort! Injustes que nous sommes!
Certes, [ 74 ] ils étaient bien là, les deux beaux jeunes hommes!
C'est égal. Je devais n'en pas croire mes yeux.
Mais que veux-tu, ma pauvre enfant? Quand on est vieux!
DOÑA SOL, immobile et grave.
Vous reparlez toujours de cela, qui vous blâme?
DON RUY GOMEZ.
Moi! J'eus tort. Je devais savoir qu'avec ton âme
On n'a point de galants, quand on est doña Sol,
Et qu'on a dans le cœur de bon sang espagnol.
DOÑA SOL.
Certes, il est bon et pur, monseigneur ; et peut-être
On le verra bientôt.
DON RUY GOMEZ, se levant et allant à elle.
Écoute, on n'est pas maître
De soi-même, amoureux comme je suis de toi,
Et vieux. On est jaloux, on est méchant! Pourquoi?
Parce que l'on est vieux. Parce que beauté, grâce,
Jeunesse, dans autrui, tout fait peur, tout menace.
Parce qu'on est jaloux des autres, et honteux
De soi. Dérision! Que cet amour boiteux
Qui nous remet au cœur tant d'ivresse et de flamme,
Ait oublié le corps en rajeunissant l'âme!
Quand passe un jeune pâtre, — oui, c'en est là! — souvent,
Tandis que nous allons, lui chantant, moi rêvant,
Lui, dans son pré vert, moi dans mes noires allées,
Souvent je dis tout bas : ô