Hésiode et le mythe de la décadence.
LA NOSTALGIE DES ORIGINES ?

PAUL MASQUELIER

L’idée que l’histoire de l’humanité serait celle d’un long déclin n’est décidément pas d’aujourd’hui. Hésiode, au VIIIe siècle avant Jésus Christ, exploitait déjà les mythes de son temps pour affirmer que le monde dans lequel il vivait était bien misérable en comparaison de celui des hommes de l’âge d’or. Comme souvent, la représentation des origines, idéale et magnifiée, se trouvait ainsi opposée à la tristesse des temps présents, au risque de nous contraindre à évaluer le monde dans lequel nous vivons à l’aune d’un modèle parfait ( stricto sensu, incomparable ( et de dévaloriser ainsi le réel au profit d’un arrière-monde chimérique. Il est vrai cependant que le contexte socio-économique de la Béotie, où vivait l’auteur, n’incitait guère à l’optimisme, en cette époque troublée. La région, entièrement vouée au travail de la terre, traversait alors une période de profondes mutations qui rendait particulièrement pesante la hantise de la faim. Le monde paysan se désagrégeait peu à peu, et les pratiques successorales provoquaient un morcellement des petites propriétés. Les laboureurs peu fortunés devaient emprunter aux riches, qui finissaient par s’accaparer de vastes propriétés et laissaient les plus démunis vivre dans la mendicité. Le poète était directement victime de cette situation ; il ne parvenait pas à résoudre un litige qui l’opposait à son frère, Persès, au sujet de la répartition d’un héritage. C’est à ce dernier qu’il adressera le texte des Travaux et des jours, enjoignant le scélérat à renoncer à la démesure (l’hybris) et à se soumettre à la justice (la dikè). La crise agraire avait selon Hésiode une racine morale et religieuse. Les hommes, en cessant d’honorer les dieux, avaient cédé à la haine et à l’exploitation de leurs congénères. En conséquence, la guerre de tous contre tous s’était installée, et la famine guettait aux portes des cités ( qui commençaient