Le déserteur , Boris Vian, 1953

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps

Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir

Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens

C'est pas pour vous fâcher
II faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m'en vais déserter.
Depuis que je suis né
J'ai vu mourir mon père
J'ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants

Ma mère a tant souffert
Qu'elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers

Quand j'étais prisonnier
On m'a volé ma femme
On m'a volé mon âme
Et tout mon cher passé

Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J'irai sur les chemins
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens

Refusez d'obéir
Refusez de la faire
N'allez pas à la guerre
Refusez de partir

S'il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président

Que je n'aurai pas d'armes
Et qu'ils pourront tirer

Boris Vian a écrit ce poème en 1954 pour protester contre les guerres coloniales menées par la France à cette époque. Ce poème a été mis en chanson plus tard et chanté par Serge Reggiani. Cette chanson a été chanté dans le contexte de la guerre d'Indochine puis de la Seconde Guerre Mondiale et le jour de la défaite de la France à Dien Bien Phu. Elle a ensuite été censuré car elle était ressentie comme une provocation mais la censure a été enlevé à la fin de la guerre d'Algérie. Il y a des rimes embrassées et des quatrains, ce sont des hexamètre. Le vocabulaire utilisé est un vocabulaire simple comme l'est le ton avec lequel s'adresse l'auteur au Président. L'énonciateur de cette chanson est un déserteur, les destinataires sont le Président de la République et les hommes