Homo economicus
ISBN : 9 7 8-2 -2 2 6 -2 7 57 7 -6
À ma mère, Suzy
« Que de fois j’ai v u, j’ai désiré im iter quand je serais libre de v iv re à m a guise, un ram eur, qui, ay ant lâché l’av iron, s’était couché à plat sur le dos, la tête en bas, au fond de sa barque, et la laissant flotter à la dériv e, ne pouv ant v oir que le ciel qui filait lentem ent au-dessus de lui, portait sur son v isage l’av ant-goût du bonheur et de la paix. »
Marcel Proust
À l’ombre des jeunes filles en fleurs
Introduction
Tout le monde cherche le bonheur, « jusqu’à celui qui va se pendre », disait Pascal. Le monde moderne peut quasiment se définir par l’idée que le bonheur sur terre est le but de l’humanité. À l’échelle des siècles, le résultat semble au rendez-vous. La vie était hier « misérable, bestiale et brève » selon Thomas Hobbes. Aujourd’hui, dans les pays riches du moins, elle est longue, prospère ; les guerres et les épidémies reculent, la démocratie et la liberté d’opinion règnent.
Mais ce n’est pas ainsi que les gens raisonnent. Pour la plupart d’entre eux, la dureté de la vie ne semble guère réduite par rapport à ce qu’elle était hier. Environ 15 % des
Américains de moins de trente-cinq ans ont connu un épisode dépressif majeur. En trente ans, en France, la consommation d’anti-dépresseurs a été multipliée par trois, les tentatives de suicide des quinze / vingt-cinq ans par deux. Aux États-Unis, les indicateurs de bien-être sont en baisse de près de 30 % par rapport aux niveaux atteints dans les années cinquante.
Enquête après enquête, le résultat est le même : le bonheur régresse ou stagne dans les sociétés riches, en France comme ailleurs. Comment comprendre le paradoxe d’une société qui se donne un but qu’elle manque toujours ? Une réponse vient immédiatement à l’esprit : les humains ne peuvent être heureux car ils s’habituent à tout. Les progrès réalisés, quels qu’ils soient, deviennent vite ordinaires. La page est toujours blanche du bonheur à