Hume Le Moi
Malheureusement toutes ces affirmations positives sont contraires à l'expérience elle-même, qu'on invoque en leur faveur; et nous n'avons aucune idée du moi à la manière qu'on vient d'expliquer ici. En effet, de quelle impression pourrait dériver cette idée ? A cette question, il est impossible de répondre sans contradiction ni absurdité manifestes; pourtant c'est une question à laquelle il faut nécessairement répondre, si nous voulons que l'idée du moi passe pour claire et intelligible. Il doit y avoir une impression qui engendre toute idée réelle. Mais le moi, ou la personne, n'est pas une impression, c'est ce à quoi nos diverses impressions et idées sont censées se rapporter. Si une impression engendre l'idée du moi, cette impression doit demeurer invariablement identique pendant tout le cours de notre existence : car le moi est censé exister de cette manière. Or, il n'y a pas d'impression constante et invariable. La douleur et le plaisir, les passions et les sensations se succèdent les unes aux autres et jamais elles n'existent toutes en même temps. Ce ne peut donc être d'aucune de ces impressions, ni d'aucune autre qu'est dérivée l'idée du moi; par conséquent une telle idée n'existe pas.
Hume, Traité de la nature humaine, I, IV, VI, §1