Des jeunes gens à cheval, parmi lesquels Lucien remarqua de Marsay et Rastignac, se joignirent à la calèche pour conduire les deux cousines au bois. Il fut facile à Lucien de voir, au geste des deux fats, qu'ils complimentaient Mme de Bargeton sur sa métamorphose. Mme d'Espard pétillait de grâce et de santé: ainsi son indisposition était un prétexte pour ne pas recevoir Lucien, puisqu'elle ne remettait pas son dîner à un autre jour. Le poète furieux s'approcha de la calèche, alla lentement, et, quand il fut en vue des deux femmes, il les salua: Mme de Bargeton ne voulut pas le voir, la marquise le lorgna et ne répondit pas à son salut. La réprobation de l'aristocratie parisienne n'était pas comme celle des souverains d'Angoulême: en s'efforçant de blesser Lucien, les hobereaux admettaient son pouvoir et le tenaient pour un homme; tandis que, pour Mme d'Espard, il n'existait même pas. Ce n'était pas un arrêt, mais un déni de justice. Un froid mortel saisit le pauvre poète quand de Marsay le lorgna; le lion parisien laissa retomber son lorgnon si singulièrement qu'il semblait à Lucien que ce fût le couteau de la guillotine. La calèche passa. La rage, le désir de la vengeance s'emparèrent de cet homme dédaigné: s'il avait tenu Mme de Bargeton, il l'aurait égorgée... "Mon Dieu! de l'or à tout prix! se disait Lucien, l'or est la seule puissance devant laquelle ce monde s'agenouille. Non! lui cria sa conscience, mais la gloire, et la gloire c'est le travail! Du travail! c'est le mot de David. Mon Dieu pourquoi suis-je ici? mais je triompherai! Je passerai dans cette avenue en calèche à chasseur! j'aurai des marquises d'Espard!" En lançant ces paroles enragées, il dînait chez Hurbain à quarante sous. Le lendemain, à neuf heures, il alla chez Louise dans l'intention de lui reprocher sa barbarie: non seulement Mme de Bargeton n'y était pas pour lui, mais encore le portier ne le laissa pas monter, il resta dans la rue, faisant le guet, jusqu'à midi. A midi, du