Ingénu chapxvi
Texte :
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Elle consulte un jésuite
« Monseigneur de Saint-Pouange ! s'écria le jésuite ; ah ! ma fille, c'est tout autre chose ; il est cousin du plus grand ministre que nous ayons jamais eu, homme de bien, protecteur de la bonne cause, bon chrétien ; il ne peut avoir eu une telle pensée ; il faut que vous ayez mal entendu. - Ah ! mon père, je n'ai entendu que trop bien ; je suis perdue, quoi que je fasse ; je n'ai que le choix du malheur et de la honte : il faut que mon amant reste enseveli tout vivant, ou que je me rende indigne de vivre.
Je ne puis le laisser périr, et je ne puis le sauver. »
Le père Tout-à-tous tâcha de la calmer par ces douces paroles :
« Premièrement, ma fille, ne dites jamais ce mot, mon amant ; il a quelque chose de mondain1 qui pourrait offenser
Dieu. Dites : mon mari; car, bien qu'il ne le soit pas encore, vous le regardez comme tel, et rien n'est plus honnête.
« Secondement, bien qu'il soit votre époux en idée, en espé
-rance, il ne l'est pas en effet : ainsi vous ne commettriez pas un adultère, péché énorme qu'il faut toujours éviter autant qu'il est possible. « Troisièmement, actions ne sont pas d'une malice de coulpe quand l'intention est pure, et rien n'est plus pur que de délivrer vôtre mari.
« Quatrièmement, vous avez des exemples dans la sainte anti¬- quité, qui peuvent merveilleusement servir à votre conduite.
Eléments d'introduction :
Situation : Après des propositions peu honnêtes, Melle de Saint-Yves a besoin des conseils de la religion. Elle s'adresse en toute confiance à son "bon confesseur".sur les recommandations pressan¬tes de son amie dévote (cf. fin du ch. XV)
Thème général : Ce chapitre relate l'entretien de la jeune fille avec le jésuite; c'est l'occasion, pour Voltaire, de dénoncer par le portrait du père Tout-à-Tous l'hypocrisie des jésuites, les créatures de "l'Infâme".