Ingénu, Voltaire.
Tout d’abord, il égratigne la suffisance de ses compatriotes : "sans l’aventure de la tour de Babel, toute la terre aurait parlé français", et plus loin : "L’Abbé de Saint-Yves supposait qu’un homme qui n’était pas né en France n’avait pas le sens commun". Puis, il se livre à quelques attaques personnelles : il critique une partie de l’œuvre de Malebranche, mais surtout malmène Donneau de Visé et Faydit qu’il traite "d’excréments de la littérature". Plus loin il raille les liaisons amoureuses des grands de l’Église. L’Ingénu est donc une œuvre polémique où Voltaire fait parfois étalage d’esprit partisan.
Cependant le philosophe entend principalement dénoncer des abus sociaux : tout d’abord la mesquinerie du monde littéraire "où des hommes incapables de rien produire dénigrent les productions des autres" ; ensuite l’ignorance et la fatuité criminelles des médecins (prolongement de la tradition moliéresque) ; enfin la corruption, la vénalité et les abus de pouvoir des fonctionnaires en la personne de Saint-Pouange.
Voltaire entend surtout mener le procès contre certaines formes de religion. Il poursuit là une idée qui lui est chère et qu’il a déjà exposée dans Le Siècle de Louis XIV. Le règne du Roi-Soleil est apparu comme une période grandiose, un état achevé de la pensée humaine comme le siècle de Périclès, celui de César et d’Auguste ou celui des Médicis. Pourtant ce siècle de lumière fut terni par les luttes religieuses.
Certes, à la suite de Rabelais, il critique l’abus de la bonne chère dans le clergé de province et assure que l’abbé de Kerkabon était "le seul bénéficier du pays qu’on ne fût pas obligé de porter dans son lit quand il avait soupé avec ses confrères". De même il relève l’ignorance du bas-clergé incapable de répondre aux questions du Huron concernant la Bible.