instuire ou éveiller
Sciences Humaines, Mensuel N° 263 - octobre 2014
Éduquer au 21e siècle
Instruire ou éveiller ? Un débat transatlantique
Michael Behrent
L’école française du XXe siècle s’appuie sur Émile Durkheim, sa cousine américaine préfère John Dewey. Derrière ces références, ce sont des conceptions antinomiques du savoir et de l’école qui s’affrontent.
La France et les États-Unis ont toujours mis l’école au centre de leurs projets de construction démocratique. Mais la manière dont ils entendent la nature et les objectifs de l’enseignement prend racine dans des cadres théoriques sensiblement différents. Le modèle éducatif français trouve son expression la plus lucide dans l’œuvre d’Émile Durkheim (1858-1917), le fondateur de la sociologie et l’un des premiers universitaires français à occuper une chaire de pédagogie. Le maître à penser de l’éducation aux États-Unis est John Dewey (1859-1952), l’un des chefs de file de la philosophie pragmatique et figure clé du mouvement « progressiste » du début du XXe siècle. Ces auteurs nous permettent de saisir les idéaux-types qui structurent le discours éducatif dans ces deux pays.
L’expérience contre l’autorité
Durkheim et Dewey ont d’abord des idées divergentes quant à la finalité de l’enseignement, comme le souligne très bien Denis Meuret (1). Tout comme Aristote, pour qui la connaissance commence avec l’étonnement, Dewey considère que les individus sont portés au savoir par les questions que suscite leur expérience quotidienne. La curiosité enfantine est la première et la plus naturelle manifestation de ce désir de savoir : l’école doit l’encourager et le susciter, non s’y substituer. La connaissance étant avant tout une expérience, le but de l’école doit être, selon Dewey, de créer des occasions où l’enfant puisse faire ce genre d’expérience. L’enseignement doit toujours impliquer l’enfant dans l’apprentissage en s’appuyant sur la soif de connaissance qu’il éprouve au