Le petit-déjeuner

Leo von KONÏG, A la table du petit-déjeuner, 1907
Peinture à l'huile sur toile, 117x101cm, Alte Nationalgalerie, Allemagne

Huit heures sonnent

Huit heures sonnent. La vision noircie de sa vie l'obsède, tandis qu'elle regarde, sans aucune envie son café. C'est le désespoir qui se lit sur les traits de son visage, une passion inexistante, un vide sentimental.

L'appétit revenu, elle boit machinalement une partie de ce lait chaud, comme à son habitude. Elle s'imagine, uni avec lui, d'un amour qui serait né d'une rencontre hasardeuse, lorsqu'elle errait dans les rues de Paris, ou qu'elle voyageait en Italie, à Venise. Elle s'imagine à ses cotés, préparant le repas de leurs enfants, soignant ses faits et gestes pour conserver une passion sentimentale. Lui, et ses doux baisers de miel, l'enivrerait comme au premier jour, signe d'un premier amour.
Mais, tout en beurrant sa tartine, comme retenue par le réel, ramenée à la réalité, elle revient à elle-même.

Sa mère est là, à la lecture du journal quotidien. Une journée déjà écrite pour elle débute, mais comme chaque matin à l'heure du petit-déjeuner, son esprit s'évade. Elle observe ses fleurs, qui lui rappellent son défunt mari. Son amour ne reviendra plus. Elle s'apprête à déguster sa pomme matinale, qu'elle avait pour habitude, dix-sept années auparavant, de savourer face à son bien-aimé et non à sa fille. Marie, le fruit de leur amour, est aussi le seul souvenir encore existant de son mari. Ses yeux en amandes, et sa bouche pulpeuse, à laquelle on aimerait gouter, c'est à son père qu'elle n'a jamais connu qu'elle le doit. La veuve, chaque jour repense à cet amour de jeunesse que la mort lui a enlevé. Elle réinvente depuis dix-sept ans chacunes de ses journées, dans l'espoir de rejoindre son bien-aimé, comme encore accrochée à cet amour, poison de bonheur. Chaque jour, l'idée que tout serait peut-être plus beau vu d'en haut lui vient, cette envie d'achever ses souffrances, chaque jour.