Elle n’a rien gardé de sa vie d’avant. Rien sauf la chute. Le frein ne répond plus. Elle pense : le câble est cassé, c’est bête. Le vélo prend de la vitesse. Elle lance les deux jambes devant elle, pour se protéger peut-être. Le choc arrive sans qu’elle le voie venir. Le ciel tournoie autours d’elle. C’est fini. Quand se réveille, elle est dans le lit blanc. Elle bouge les jambes, les bras. Elle est intacte. Mais elle ne se souvient plus. Un homme entre dans sa chambre. Il s’appelle Jonas. C’est Jonas qui lui tend ses couverts et les guides vers l’assiette. Jonas qui lui fait couler l’eau de la douche et lui indique les serviettes de toilette en coton. Avec lui, elle retrouve les gestes. Les mots. Mais pas les images. Jonas prétend qu’elle est née le jour ou elle s’est réveillée. Il lui donne un nom. Elle s’appelle Véra. Jonas l’emmène avec lui dans la ville. Tous les jours, elle s’assied dans sa voiture

« - Regarde autour de toi, lui dit Jonas en démarrant. Essaie de te rappeler. »

Elle regarde, tout l’étonne, elle ne se souvient de rien. Jonas la conduit depuis un mois. En vain. Et puis elle le voit. Le garçon qui promène un chien. Sans qu’elle s’y attende, les larmes lui viennent aux yeux.

« - Que se passe-t-il Véra ? Tu reconnais cet homme ? Parle, dis moi quelque chose…lui demande Jonas.
Je ne sais pas, peut-être. En fait je ne peux traduire ce que je ressens. Les larmes sont venues d’elles mêmes sans que je ne puisse les expliquer. »

Et puis le silence s’installe…Véra tente de se souvenir de quelque chose. Le travail de mémoire est une vraie souffrance. Ses efforts sont perceptibles au travers des plis que forment sa peau sur son front, de ses magnifiques yeux noisettes qu’elle fronce et de sa bouche pincée, signe que ses dents sont serrées et qu’aucun mot ne sortira.
Jonas lui semble inquiet, presque nerveux. Qu’est-ce qui le tourmente ainsi ? Est-ce de voir Véra dans cet état ou d’imaginer qu’elle puisse retrouver d’infimes détails, peut-être même