Julien onfray de la mettrie, l'homme machine
Arrêtons-nous à contempler la différente docilité des animaux. Sans doute l'analogie la mieux entendue conduit l'esprit à croire que les causes dont nous avons fait mention, produisent toute la diversité qui se trouve entre eux et nous, quoiqu'il faille avouer que notre faible entendement, borné aux observations les plus grossières, ne puisse voir les liens qui règnent entre la cause et les effets. C'est une espèce d'Harmonie que les philosophes ne connaîtront jamais. Parmi les animaux, les uns apprennent à parler et à chanter ; ils retiennent des airs, et prennent tous les tons, aussi exactement qu'un musicien. Les autres, qui montrent cependant plus d'esprit, tels que le singe, n'en peuvent venir à bout. Pourquoi cela, si ce n'est par un vice des organes de la parole ? Mais ce vice est-il tellement de conformation, qu'on n'y puisse apporter aucun remède ? En un mot serait-il absolument impossible d'apprendre une langue à cet animal ? Je ne le crois pas. Je prendrais le grand singe préférablement à tout autre, jusqu'à ce que le hasard nous eût fait découvrir quelque autre espèce plus semblable à la nôtre, car rien ne répugne qu'il y en ait dans des régions qui nous sont inconnues. Cet animal nous ressemble si fort, que les naturalistes l'ont appelé homme sauvage, ou homme des bois. Je le prendrais aux mêmes conditions des écoliers d'Amman, c'est-à-dire, que je voudrais qu'il ne fût ni trop jeune, ni trop vieux, car ceux qu'on nous apporte en Europe sont communément trop âgés. Je choisirais celui qui aurait la physionomie la plus spirituelle, et qui tiendrait le mieux dans mille petites opérations, ce qu'elle m'aurait promis. Enfin, ne me trouvant pas digne d'être son gouverneur, je le mettrais à l'école de l'excellent maître que je viens de nommer, ou d'un autre aussi habile, s'il en est. Vous savez par le livre d'Amman , et par tous ceux qui ont traduit sa méthode, tous les prodiges qu'il a su