On a généralement tendance à voir dans l'attachement à la justice une arme efficace pour faire face à l'injustice. Cependant, un tel propos est loin de remporter l'unanimité. En effet, nombreux sont les jugements qui voient que l'amour de la justice trouve plutôt son origine dans l'angoisse liée à l'iniquité. La Rochefoucauld n'est pas loin de cette dernière attitude en affirmant que «l'amour de la justice n'est pour la plupart des hommes que la crainte de souffrir l'injustice». L'amour de la justice est-il alors, au niveau de Les Choéphores et de Les Euménides d'Eschyle, des Pensées sur la justice et des Trois discours sur la condition des Grands de B. Pascal et Les raisins de la colèrede J. Steinbeck, un simple bouclier de défense ou également une arme d'attaque efficace contre l'injustice? On va donc essayer, dans un premier temps, de voir ce qui peut fonder et justifier la nature défensive de l'amour de la justice face à l'injustice. Mais étant donné que les hommes peuvent faire de cet attachement une motivation d'action, on verra, dans un deuxième temps, comment la sacralisation de l'équité peut se transformer en esprit d'initiative pour combattre l'injuste. L'injustice n'est-elle pas finalement la mieux qualifiée pour craindre l'autorité et l'intransigeance de la justice?
Les hommes sont généralement présentés comme étant faibles par nature. Leur fort attachement à l'équité et au droit peut donc, premièrement, découler de leur angoisse de succomber un jour à la tentation de commettre l'injustice. A ce niveau, Pascal voit que «la bonne crainte vient de la foi.» Il invite également tout un chacun à opérer son «salut avec crainte.» De ce fait, la foi et le salut, qui sont étroitement liés aux actions justes, ne peuvent se réaliser sans une angoisse qui aide le croyant à se détourner du mal et de l'injustice. Cette même logique est déjà signalée par Eschyle qui nous présente une Electre habitée par la terreur de devenir une simple reproduction des penchants