KANT I 1
Hubert CARRON
« KANT : ANTHROPOLOGIE ET MORALE »
Séance du jeudi 23 avril 2009.
Je voudrais peut-être commencer en réparant une injustice, c’est-à-dire en rendant à Kant une exclamation qui, en quelque sorte, lui a été soufflée presque deux siècles plus tard, par un autre grand anthropologue :
« Je hais les voyages et les explorateurs ! »
Vous vous souvenez sans doute que c’est avec ce cri assez paradoxal que Claude Lévi-Strauss ouvre son journal de voyages au cœur des forêts amazoniennes, ses Tristes Tropiques, un des plus beaux livres de l’Anthropologie contemporaine. Mais cette exclamation, bien sûr, elle revenait de droit à Kant, dont chacun sait qu’il a mené une vie parfaitement sédentaire à Königsberg - ville qu’il n’a quasiment jamais quitté, et d’où il aura mené toutes ses études anthropologiques. Or la raison de cette défiance kantienne à l’égard des voyages, on en trouve une trace dans une « petite note » de son cours d’Anthropologie, dans laquelle Kant raconte sa tentative d’excursion maritime depuis le port de Pillau
(qui est situé sur la Baltique, mer réputée pour être plutôt rude) jusqu’à Königsberg (dont le port se trouve, non loin de là, à l’embouchure du Pregel) – un peu en somme comme si du port Saint-Pierre,
Kant avait voulu rejoindre l’ile Sainte-Marguerite un jour de mistral ! Voici la « petite note » :
« (...) Le mal de mer, écrit-il, avec ses crises de vomissements (dont j’ai fait moimême l’expérience dans un voyage - si le mot n’est pas exagéré - de Pillau à Königsberg), me vint, à ce que je crois avoir remarqué, simplement par les yeux ; comme je voyais de la cabine, à cause de l’oscillation du navire, tantôt le Haff, tantôt la hauteur de Balga, la plongée après la montée excitait par l’entremise de l’imagination, un mouvement antipéristaltique des intestins dû aux muscles de l’abdomen. »1.
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Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (1798), AK VII p. 119 sq. ; trad. fr. Michel Foucault, Vrin,
p. 48 note.
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