La décision de rester de rambert , extrait de la peste
La Peste , d'Albert Camus
Rieux se retourna. Par-dessus le masque, ses yeux se plissèrent en apercevant le journaliste.
— Que faites-vous ici ? dit-il. Vous devriez être ailleurs.
Tarrou dit que c’était pour ce soir à minuit et Rambert ajouta : « En principe. »
Chaque fois que l’un d’eux parlait, le masque de gaze se gonflait et s’humidifiait à l’endroit de la bouche. Cela faisait une conversation un peu irréelle, comme un dialogue de statues.
— Je voudrais vous parler, dit Rambert.
— Nous sortirons ensemble, si vous le voulez bien. Attendez-moi dans le bureau de Tarrou.
Un moment après, Rambert et Rieux s’installaient à l’arrière de la voiture du docteur. Tarrou conduisait.
— Plus d’essence, dit celui-ci en démarrant. Demain, nous irons à pied.
— Docteur, dit Rambert, je ne pars pas et je veux rester avec vous.
Tarrou ne broncha pas. Il continuait de conduire. Rieux semblait incapable d’émerger de sa fatigue.
— Et elle ? dit-il d’une voix sourde.
Rambert dit qu’il avait encore réfléchi, qu’il continuait à croire ce qu’il croyait, mais que s’il partait, il aurait honte. Cela le gênerait pour aimer celle qu’il avait laissée. Mais Rieux se redressa et dit d’une voix ferme que cela était stupide et qu’il n’y avait pas de honte à préférer le bonheur.
— Oui, dit Rambert, mais il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul.
Tarrou, qui s’était tu jusque-là, sans tourner la tête vers eux, fit remarquer que si Rambert voulait partager le malheur des hommes, il n’aurait plus jamais de temps pour le bonheur. Il fallait choisir.
— Ce n’est pas cela, dit Rambert. J’ai toujours pensé que j’étais étranger à cette ville et que je n’avais rien à faire avec vous. Mais maintenant que j’ai vu ce que j’ai vu, je sais que je suis d’ici, que je le veuille ou non. Cette histoire nous concerne tous.
Personne ne répondit et Rambert parut s’impatienter.
— Vous le savez bien d’ailleurs ! Ou sinon que feriez-vous dans