Dans La Faute de l’abbé Mouret, les deux espaces complémentaires que sont la chambre et le jardin donnent lieu à deux séries de descriptions enchevêtrées, mais de longueur différente : trois chapitres descriptifs pour le lieu clos de la chambre, invariant, mais dont la perception par les personnages évolue19 ; sept pour l’espace ouvert du jardin, mais la série « jardin » n’est ni l’évolution d’un décor ni celle d’un regard, c’est un même modèle de découverte (la journée d’exploration) et de perception (sensuelle et esthétisante) appliqué aux différentes parties d’un même ensemble. Cette juxtaposition des jours et des espaces est cependant ordonnée par la chronologie d’une transformation, celle des personnages au contact d’une nature qui montre elle-même les étapes de l’initiation amoureuse : après le bois de roses (qui synthétise à lui seul toute l’évolution amoureuse, en un effet d’annonce [chap.VI]), au parterre ont lieu les fiançailles de l’enfance (chap.VII, p. 200), au verger les jeux du ménage enfantin (chap. IX) ; la promenade dans la prairie marque l’éveil à l’amour (chap. X) ; la forêt, cathédrale végétale, scelle l’union du mariage (chap. XI) ; l’étreinte dans la chute au bas des rochers préfigure l’acte sexuel (chap. XII), qui aura lieu dans la clairière cachée, sous l’arbre de vie (chap. XV). Ce qui renforce l’analogie entre les éléments de la série, c’est, au cœur de chaque promenade, entre le départ au matin et le retour le soir, une station assise, un temps d’arrêt qui préfigure la scène finale (au terme de la série), et le geste de croquer au fruit défendu20. La série est donc soigneusement encadrée, et par le quadrillage géographique, et par l’assignation du terme dans le déroulé chronologique. Sous les dehors d’une prolifération anarchique (celle même d’une nature sauvage, qui devient celle de la « fureur descriptive21 »), l’amplification sérielle du descriptif est ainsi soigneusement contrôlée. Le romancier doit garder la maîtrise d’un décor