La lecture à voix haute
32, Allée Pottier
93320 Les Pavillons sous bois
Une lecture instable
Sur la lecture à haute voix
Actes du Colloque Maurice Blanchot, direction Christophe Bident, Pierre Vilar
Éditions Farrago, Automne 2003
Republié dans la Revue “Littérature”, Larousse, juillet 2005 : “Théâtre, un retour au texte ?”
Thomas demeura à lire dans sa chambre. Il était assis, les mains jointes au-dessus de son front, les pouces appuyés contre la racine des cheveux, si absorbé qu'il ne faisait pas un mouvement lorsqu'on ouvrait la porte. Ceux qui entraient, voyant son livre toujours ouvert aux mêmes pages, pensaient qu'il feignait de lire. Il lisait. Il lisait avec une minutie et une attention insurpassables. Il était, auprès de chaque signe, dans la situation où se trouve le mâle quand la mante religieuse va le dévorer. L'un et l'autre se regardaient. Les mots, issus d'un livre qui prenait une puissance mortelle, exerçant sur le regard qui les touchait un attrait doux et paisible. Chacun d'eux, comme un œil à demi fermé, laissait entrer le regard trop vif qu'en d'autres circonstances il n'eût pas souffert. Thomas se glissa donc vers ces couloirs dont il s'approcha sans défense jusqu'à l'instant où il fut aperçu par l'intime du mot. Ce n'était pas encore effrayant, c'était au contraire un moment presque agréable qu'il aurait voulu prolonger. Le lecteur considérait joyeusement cette petite étincelle de vie qu'il ne se doutait pas d'avoir éveillée. Il se voyait avec plaisir dans cet œil qui le voyait. Son plaisir même devint très grand. [...] Il aperçut toute l'étrangeté qu'il y avait à être observé par un mot comme par un être vivant [...] quand déjà les mots s'emparaient de lui et commençaient à le lire. Il fut pris, pétri par des mains intelligibles, mordu par une dent pleine de sève ; il entra avec son corps vivant dans les formes anonymes des mots, leur donnant sa substance, formant leurs rapports, offrant au mot être son être. Pendant des