la main invisible
L’idée selon laquelle les intérêts s’harmonisent d’eux-mêmes sur le marché est loin d’appartenir en propre à Adam Smith. Sur ce point comme sur d’autres, il est un auteur de synthèse. Dès le XVIIème siècle, cette conception s’élabore dans des milieux intellectuels très différents. L’un des cercles qui aura le plus fait pour la diffuser est celui des jansénistes français. Cette idée sera bientôt reprise par des calvinistes provocateurs, comme le fameux docteur Bernard de Mandeville, auteur anglais d’origine hollandaise de la Fable des abeilles. Ces partisans du réveil augustinien, des deux côtés de la Manche, tiendront, comme on sait, un fameux paradoxe : c’est en l’homme la volupté et la cupidité qui donnent naissance à un ordre social prospère et harmonieux. C’est la corruption même de l’être déchu qui est au principe de ce qu’il peut y avoir de meilleur en matière de satisfaction terrestre.
Le précurseur le plus direct d’Adam Smith est sans doute Pierre de Boisguilbert, lequel a parfaitement su tenir la ligne de ses maîtres de Port-Royal. Admettant comme beaucoup que ce qui fait tenir les hommes ensemble est désormais l’utilité des travaux spécialisés, Boisguilbert pose que la recherche de son propre bien-être est source d’ordre et d’équilibre puisque, pour satisfaire cet intérêt, chacun est conduit à livrer aux autres ce qui satisfera leurs intérêts. Cette complémentarité des besoins donne ainsi naissance à un système spontanément ordonné dans lequel chacun est gagnant. Ce qui laisse penser qu’un Dieu, en suscitant la division du travail et la coordination des activités par le marché, a créé une