On ne peut, en dehors de circonstances exceptionnelles, estimer le pouvoir qu’à l’imagination sur la perception. L’imagination nous aide à former l’image d’un objet dans son intégralité en complétant les données partielles recueillies par nos sens : un cube, par exemple, dont on ne peut voir, simultanément, que trois faces sur six. Toutefois, cette imagination peut parfois déformer notre perception du réel au lieu de nous permettre de nous le représenter correctement. C’est cette faille qu’illustre Maupassant dans sa nouvelle La Peur, jouant sur les ressorts du genre de l’étrange. Il y fait parler un homme qui raconte en quelles circonstances il a vraiment, dans sa vie, éprouvé de la peur. Une nuit qu’il demande l’hospitalité dans un maison aussi perdue que lui dans la forêt, il est accueilli par le fusil du propriétaire. Ce vieil homme fait entrer le voyageur et, au milieu de sa famille, paralysée de terreur, il lui confie qu’il craint la survenue d’un fantôme, celui d’un braconnier qu’il a tué deux ans plus tôt. L’invité partage alors avec ses hôtes une nuit d’attente et de hantise. Portant l’effroi à son comble, une forme blanche apparaît soudain au carreau : chacun pense reconnaître le fantôme, assurément, et le vieillard tire sur lui un coup de fusil. Mais au matin, la famille ose enfin sortir et découvre que le coup de fusil a atteint le chien de la maison, qui s’était faufilé dehors à l’insu de tous. Histoire qui, parmi tant d’autres, toutes caractéristiques du genre fantastique qu'a magistralement illustré Maupassant, exprime bien l’ascendant que l’imagination peut prendre sur notre vision : sous l’influence de substances psychotropes, de circonstances déroutantes, d’un trouble de la raison ou d’une faille psychique, plus encore qu’à l’état normal, l’imagination est capacité à déformer les