La poésie est d'autant plus difficile à définir qu'elle recouvre une pratique très diversifiée, plus qu'un genre particulier. Mais, tout autant que sa diversité, frappe son universalité, qui invite à chercher, par-delà ses multiples variantes linguistiques et historiques, les critères constants qui la distinguent d'autres pratiques littéraires. La forme versifiée a longtemps constitué la caractéristique majeure de la poésie ; une évolution récente, et d'ailleurs limitée à certaines aires culturelles, tend à la dissocier du vers. Il convient cependant d'interroger d'abord celui-ci, pour tenter d'en ressaisir la fonction et la structure profonde, qui n'engage pas seulement la forme du poème, mais la manière dont il informe l'expérience humaine. On y découvrira la coexistence de deux principes d'organisation, contradictoires et complémentaires : un principe de rupture, qui fait du vers une séquence interrompue par un blanc ou un silence, et un « principe d'équivalence » (Roman Jakobson), qui structure l'unité supérieure (strophe ou poème à forme fixe) par la récurrence de mètres, de coupes et/ou de sonorités identiques.
Cette régularité a longtemps exercé une influence prépondérante sur le fonctionnement de la signification poétique, sur la construction du sujet lyrique et sur sa vision du monde, dominés par l'analogie. La remise en cause de la versification traditionnelle a renversé l'équilibre entre ces principes concurrents : dans la poésie moderne, la discontinuité l'emporte souvent sur la régularité, et retentit à tous les niveaux de la forme et de la signification poétiques, désormais placées sous le signe de la dissonance et de la différence. La recherche systématique des ruptures brise les correspondances que la tradition établissait entre le moi, le monde et les mots ; les avant-gardes ont souvent dissocié ces trois termes de l'expérience poétique pour placer un seul d'entre eux au cœur de leurs expérimentations.