L’homme civilisé semble s’opposer, d’emblée, à l’homme naturel, c’est-à-dire à l’homme vivant essentiellement dans la nature. Les peuples vivant à toujours à « l’état de nature » se sont longtemps appelés « peuples primitifs », puis on a considéré, très récemment, que l’expression était péjorative ; on parle désormais de peuples « premiers » : nous aurions compris, après l’abolition de l’esclavage et la fin de l’ère coloniale, que si certains hommes vivent encore comme l’homme vivait aux origines de l’humanité, ils n’en sont pas pour autant « inférieurs ». C’est admettre que la civilisation ne rend pas l’homme meilleur, ou plus « évolué », ce que nous avait pourtant enseigné le siècle des Lumières. La civilisation aurait la vertu, en apportant aux hommes la culture, l’industrie, la technologie ou la médecine, d’adoucir les mœurs, en permettant l’accès à de plus en plus de bien-être. Mais on peut croire le contraire : la civilisation du progrès, en arrachant de plus en plus l’homme à la nature, l’aurait en même temps arraché à sa nature, et en ce sens, elle l’aurait perverti.
1 . En quoi l'être civilisé est-il dénaturé ?
Admettre que l’homme puisse être dénaturé, c’est admettre qu’il existe une nature humaine. En se civilisant, l’homme aurait perdu cette nature. Mais qu’est-ce que la civilisation ? Le terme de civilisation a longtemps été synonyme de « progrès » ou d’avancement des connaissances et du savoir : d’où l’existence de l’adjectif « civilisé ». L’homme civilisé s’opposait au barbare ou au sauvage. Aujourd’hui, nous parlons de « civilisation » de manière plus générale, et on peut assimiler ce terme à celui de « culture », dans la mesure où ils renvoient tous deux à un ensemble de savoirs et de croyances, à des modes de vie. En ce sens, les civilisations et les cultures ne sauraient être évaluées de manière hiérarchique : manger un pot-au-feu plutôt que du couscous, revêtir un costume et une cravate plutôt qu’un sarouel, se rendre à l’église ou à la