La question du principe
"Monsieur,
L'espérance que j'ai d'être bientôt à Paris est cause que je suis moins soigneux d'écrire à ceux que j'espère avoir l'honneur d'y voir. Ainsi il y a déjà quelque temps que j'ai reçu celle que vous avez pris la peine de m'écrire; mais j'ai pensé que vous ne vous souciez pas fort d'avoir réponse à la question qu'il vous a plu m'y proposer touchant ce qu'on doit prendre pour le premier principe, à cause que vous y avez déjà répondu mieux que je ne saurais faire. J'ajoute seulement que le mot de principe se peut prendre en divers sens, et que c'est autre chose de chercher une notion commune, qui soit si claire et si générale qu'elle puisse servir de principe pour prouver l'existence de tous les êtres, les entia, qu'on connaîtra par après; et autre chose de chercher un être, l'existence duquel nous soit plus connue que celle d'aucuns autres, en sorte qu'elle nous puisse servir de principe pour les connaître. Au premier sens, on peut dire que impossibile est idem simul esse et non esse est un principe, et qu'il peut généralement servir, non pas proprement à faire connaître l'existence d'aucune chose, mais seulement à faire que lorsqu'on la connaît, on en confirme la vérité par un tel raisonnement : est impossible que ce qui est ne soit pas; or je cannois que telle chose est, donc je cannois qu'il est impossible qu'elle ne soit pas. Ce qui est de bien peu d'importance, et ne nous rend de rien plus savants. En l'autre sens, le premier principe est que notre âme existe, à cause qu'il n'y a rien dont l'existence nous soit plus notoire. J'ajoute aussi que ce n'est pas une condition qu'on doive requérir au premier principe, que d'être tel que toutes les autres propositions se puissent réduire et prouver par lui ; c'est assez qu'il puisse servir à en trouver plusieurs, et qu'il n'y en ait point d'autre dont il dépende, ni qu'on puisse plus tôt trouver que lui. Car il se peut faire qu'il n'y ait point au