La souveraineté
Thomas Berns
Chargé de Recherches au FNRS
Centre de Philosophie du Droit de l’Université Libre de Bruxelles.
La définition de la souveraineté par Jean Bodin subsiste comme un moment philosophique à part entière, étant donné qu’elle présente une surprenante fusion entre l’acte philosophique, à savoir la stratégie définitoire développée, et son résultat, c’est-à-dire la souveraineté définie. Le fait que Bodin soit considéré comme l’auteur de la première théorie de la souveraineté (et que cela ne soit pas vrai historiquement, n’a finalement pas beaucoup d’importance, dans la mesure où elle a effectivement produit cet effet), qu’on puisse en quelque sorte faire de lui l’inventeur de l’idée de souveraineté au point que tout ce qu’il y a de souverain dans la philosophie politique moderne lui soit redevable, nous pousse à prendre au sérieux la mise en place elle-même de cette théorie de la souveraineté.
1) La démarche définitoire.
Dans les Six livres de la république[1], Bodin veut affronter les « mystères de la Philosophie Politique », qui supposent la « cognoissance des loix et […] du droit public », et qu’on a « prophané[s] » en préférant laisser de côté cette connaissance « pour le profit qu’on tire du particulier » (Rép., préface, p.11). Nous savons comment il établit sa démarche, depuis les premières lignes du premier livre : il met la définition (« République est un droit gouvernement de plusieurs mesnages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine » ) « en premier lieu », parce qu’elle nous donne « la fin principale » de la république. Il faut ensuite déduire « par le menu les parties de la definition », qui a été « posee » (Rép., livre I, chap. 1, p.27). C’est l’objet du livre I. Je n’en approcherai que la question de la souveraineté (laissant donc de côté les questions du « droit gouvernement de plusieurs mesnages»)[2], pour me concentrer sur cet acte définitoire de la souveraineté. Mon