La spécialisation du pouvoir politique
Dans le langage courant, l’expression “pouvoir politique” est souvent utilisée comme synonyme de “ gouvernement d’un Etat ”.
Ce glissement de sens est révélateur : il marque le fait que, au moins dans les sociétés occidentales, l’exercice du pouvoir politique a peu à peu été distingué du reste des relations sociales (les rapports économiques ou religieux, notamment). Le pouvoir politique a donc fait l’objet d’une spécialisation, marquée par l’émergence d’un groupe d’agents spécialisés dans son exercice et qui en a acquis le monopole. On peut parler d’un monopole des fonctions de gouvernement.
L’une des premières questions qui découle de cette constatation est très classique.
A. Existe-t-il des sociétés sans pouvoir politique ?
Les anthropologues (Evans-Pritchard) qui ont étudié les sociétés dites “primitives” ou “traditionnelles”, telles que les sociétés des indiens d’Amazonie ou certaines sociétés africaines, ont mis en évidence l’absence d’une instance spécialisée exerçant le pouvoir politique. Ces sociétés “sans écriture”, qui ont été aussi qualifiée de “sans histoire”, seraient ainsi des sociétés “sans Etat”, et en fait sans pouvoir politique.
L’anthropologue français contemporain Pierre Clastres a vigoureusement contesté cette vision des choses dans son livre La société contre l’Etat (Minuit 1974). Selon lui, il n’est pas pertinent de ne considérer les sociétés différentes des sociétés occidentales modernes que sous l’angle de la privation (sociétés sans écriture, sans Etat). Cette interprétation serait le résultat d’un point de vue ethnocentriste (juger toutes les sociétés selon les critères propres à la société à laquelle on appartient) et évolutionniste.
Selon Pierre Clastres, l’Etat n’est pas universel, mais en revanche le pouvoir politique l’est. Et si les anthropologues ont conclu à l’absence de pouvoir politique dans les sociétés traditionnelles, c’est qu’ils n’y ont cherché que la forme du