LE DANDY
Pierre Bourdieu (1930-2002), dans cet extrait de son ouvrage intitulé la Distinction publié en 1979, met en évidence la manière dont le rapport à l'art varie selon les classes sociales. Face à la photographie de Russell Lee, les personnes issues de classes populaires réagissent par empathie. Elles ne perçoivent pas la photographie comme une photographie, elles perçoivent directement ce qui est représenté par la photographie : la souffrance particulière de cette femme-là. A contrario, les personnes issues des classes aisées perçoivent la photographie telle qu’une photographie et s'intéressent aux propriétés esthétiques de celle-ci, qu'ils perçoivent comme un symbole de catégories abstraites et générales comme la souffrance, le travail ou la vieillesse. Des personnes issues des classes aisées émanent des jugements esthétiques à propos de cette photographie, c’est à dire à propos de ses qualités sensibles. Bourdieu ne dégage pas seulement les conditions sociales de la perception d'une œuvre, il montre également que la capacité à faire des jugements esthétiques va fonctionner comme un signe de distinction sociale : au fond, faire des jugements esthétiques, ce serait un signe d'appartenance à une classe sociale plus favorisée. Les jugements esthétiques ne sont-ils donc que le signe d'une volonté de distinction sociale ? Ne révèlent-ils pas autre chose que le positionnement social d’une personne ? Nous venons d'envisager la possibilité que les jugements esthétiques se réduisent à un signe social, mais d'après l'un des lieux communs sur l'art, les jugements esthétiques devraient plutôt se comprendre comme des jugements de préférence purement subjectifs et relatifs à l'individu. Si je trouve telle œuvre belle et si l'autre pense le contraire, puis-je le convaincre ? Mon jugement ne serait-il pas seulement l'expression de ma sensibilité particulière, qui me fait apprécier cette œuvre ? Les jugements esthétiques sont-ils relatifs ou bien