Le der des ders, le dernier mort de la guerre, respire encore, ce 6 janvier 1920, lorsque le colonel Fantin de Larsaudière, du 296e RI, embauche, pour une banale affaire d'adultère, le détective Eugène Varlot, rescapé de Verdun - Aurélien, d'Aragon, n'est pas loin - et l'abandonne dans les abîmes des tranchées. Daeninckx (son roman date de 1984) et Tardi adressent ici une oraison funèbre aux 9 millions de poilus sacrifiés, aux déserteurs russes massacrés dans la Creuse - qui le savait? - et aux fantômes oubliés par l'Histoire dans des hôpitaux de campagne, les bras arrachés, la gueule cassée, les poumons gazés, âmes amères maculant le "V" de la victoire. Ces soldats - frères des grands-pères de Daeninckx et de Tardi - forment le choeur indigné du Der des ders, polar sombre qui n'exclut pas un bel humour bougon. Et stigmatise les bouleversements politiques et sociaux de l'après-guerre: les mouvements ouvriers s'amplifient, la guerre a changé le rôle des femmes, les déserteurs US américanisent la France et les anars espérantistes l'habitent. De ce Paris en noir et blanc, traqué par le style expressionniste de Tardi, semblent couler des statues d'orgueil et de ténèbres. Le Der des ders ou la pavane des poilus déchus.
Didier Daeninckx 48 ans. Ecrivain citoyen. A essayé plusieurs métiers (journaliste, imprimeur, animateur culturel) avant de ressusciter le polar français. Sa plume gratte l'Histoire à l'encre noire. Fouille, racle, déterre les plaies cachées des guerres. Auteur d'une vingtaine de polars "militants", dont Meurtres pour mémoire et Mort au premier tour.
Jacques Tardi 51 ans. Dessinateur arpenteur du passé. Après ses classes aux Beaux-Arts, aux Arts déco et à Pilote, saute dans le train de la mémoire. Des héros céliniens, des héros célébrés - Adèle Blanc-Sec, Nestor Burma, le poilu des tranchées et le Paris des années 20 - impriment ses indignations et sa "désabusion". Constamment cité aux chants d'honneur de la BD.