Le droit du plus fort
Rousseau continue d'examiner la thèse de ses adversaires, à savoir: l'autorité politique serait fondée non sur la convention, mais sur la nature, sur une différence naturelle. Nouvel argument: la société serait fondée sur le droit du plus fort. Rousseau remarque que l'on prend au sérieux une expression qui est d'habitude entendue ironiquement. Dans cette expression, le mot "droit" est pris ironiquement, car cette idée est une contradiction dans les termes, mais on l'oublie. Par exemple, La Fontaine, quand il écrit que "la raison du plus fort est toujours la meilleure". Elle n'est pas la meilleure, mais seulement la plus efficace, c'est-à-dire la plus forte, ce qui revient à une tautologie. En effet, la force et le droit sont opposés, de la même façon que la nécessité et le devoir, ou la nécessité et la volonté. On obéit au droit par choix, tandis qu'on se soumet à la force par nécessité, parce qu'il n'est pas possible de faire autrement. Que je sois le plus fort ne prouve pas que j'aie raison. De la force ne résulte aucune moralité. La force n'est qu'un simple fait. Or, ce qui est n'est pas forcément un modèle. Par exemple, une tradition est un simple fait. Mettre devant le fait accompli ne crée pas un droit. La force ne crée aucun droit. L'idée d'un droit du plus fort est une absurdité, un "galimathias", dit Rousseau. Le prétendu droit du plus fort n'a rien d'un droit. "Ce mot de droit n'ajoute rien à la force": le "droit du plus fort", ce n'est rien de plus que la force. On pourrait à la rigueur parler de loi du plus fort, à condition d'entendre par ce mot de loi cette loi naturelle qui implique que le plus fort triomphe nécessairement. Mais il est question alors de nécessité, non de droit.
Admettons cependant l'idée d'un droit du plus fort, considérons-là comme si elle n'était pas absurde. Admettons que la force crée un droit, qu'elle donne un droit. Mais, aussi bien, elle le détruira. "Le plus fort n'est jamais assez fort