Que peut nous apporter une réflexion sur nos désirs ? La réflexion, au sens strict du mot, est l'acte par lequel la pensée fait retour sur elle-même pour examiner la portée, la valeur et les limites d'une expérience ou d'une situation vécues quelconques et en tirer un enseignement qui lui soit bénéfique. Lorsqu'elle se propose le désir comme objet, elle rencontre précisément une dimension de l'expérience humaine qui oppose par sa nature même une forte résistance au travail de la pensée, et qui le plus souvent échappe à son emprise : le désir surgit en l'homme selon ses lois propres, sa spontanéité est pour la raison morale toujours soucieuse de mesure et de modération, une source de turbulence inadmissible. C'est pourquoi réfléchir sur les désirs est sans doute déjà le signe d'une méfiance à leur égard voire d'une tentative de les tenir à distance ou enfin, plus radicalement encore, si on adopte l'attitude stoïcienne, le moyen de s'en assurer la plus parfaite maîtrise. En dehors des caractères qu'il partage avec toute passion, un des motifs pour lesquels le désir éveille la méfiance est que sa source supposée est toujours un manque, càd la marque d'une incomplétude en l'homme. Ce manque ne peut être comblé que par une réalité extérieure au sujet ; par conséquent, le désir instaure une dépendance par rapport au monde extérieur. Cependant si nous désirons toujours ce qui nous fait défaut, ou ce que nous ne possédons pas, il reste à savoir si l' « objet » convoité est nécessairement la cause du désir que nous éprouvons pour lui : qu'une chose nous paraisse désirable ne constitue pas la preuve que la source réelle de la valeur que nous lui accordons réside seulement en elle ou dans ses propriétés objectives, ne serait-ce que parce qu’on soupçonne que cette valeur lui vient du désir qu’en éprouvent les autres (nature sociale du désir qu’il faudra par la suite approfondir). D'autre part, la force du désir s'intensifie à proportion des obstacles qui s'opposent