Le désordre de ton nom
Juan José Millás
C’était un mardi de fin d’avril à cinq heures de l’après-midi. Julio Orgaz était sorti de la consultation chez son psychanalyste dix minutes avant ; Il avait traversait la rue Príncipe de Vergara et entrait maintenant dans le parc de Berlin, essayant de dissimuler avec les mouvements de son corps l’anxiété que trahissait son regard. Le vendredi précédent, il n’avait pas réussi à voir Laura dans le parc, et cela avait provoqué en lui une sensation aigue de désespoir qui persista tout au long de l’humide et pensif weekend end qui lui était venu dessus. L’ampleur du désespoir l’avait mené à imaginer l'enfer que pourrait devenir sa vie si cette absence venait à se prolonger. Il prit conscience alors que ces derniers temps, son existence avait tourné autour d’un axe transversal à la semaine, et dont les points d’appui étaient les mardis et vendredis. Dimanche, il avait souri devant son café au lait lorsque le mot amour traversa son esprit désordonné, éclatant en un point proche de l’angoisse. Comment ce sentiment avait-il grandi et aux dépens de quelles zones de sa personnalité? C’étaient des questions que Julio s’était efforcé de ne pas aborder malgré sa vieille habitude -accentuée dernièrement par sa psychanalyse- d’analyser tous ces mouvements qui semblaient agir indépendamment de sa volonté. Cependant, il se rappela la première fois qu’il avait vu Laura, cela faisait environ trois mois. C’était un mardi après-midi ensoleillé, du mois de février dernier. Comme tous les mardis et vendredis depuis environ deux mois, il avait pris congé du docteur Rodó à cinq heures moins dix. Alors qu’il retournait au bureau, une sensation de plénitude corporelle, de force, l’envahit et lui fit soudainement apprécier la tonalité de l’après-midi. Cela sentait un peu le printemps. Donc, il décida de changer son chemin habituel et de passer par le parc de Berlin, en faisant un petit détour afin de jouir de cette