Le fantastique
En ce jour d'hiver de 1989, la voiture de François Mitterrand s'arrête devant le 42, rue Fontaine, à deux pas de la place Blanche et du Moulin-Rouge. Les gardes du corps se postent discrètement dans le minuscule escalier. Le président s'engouffre dans le long couloir, traverse une cour sombre et monte au « deuxième étage et demi », où André Breton a vécu de 1922 jusqu'à sa mort, à 70 ans, en 1966. Quand la porte s'ouvre, François Mitterrand est projeté dans un atelier féerique: une toile de Miro voisine avec une collection de moules à gaufre, un masque esquimau avec les ¦uvres complètes de Trotski (dédicacées, bien sûr), un nu de Magritte avec des bénitiers du XVIIIe siècle, un fétiche de Nouvelle-Guinée avec une photographie en noir et blanc de Man Ray.
C'est Elisa, la dernière épouse du poète, qui accueille Mitterrand. Cette très discrète visite présidentielle constitue l'ultime tentative de sauver cet atelier unique au monde. Elisa Breton rêve d'un musée, d'une fondation. Le président, qui goûte plus la longue phrase provinciale de Chardonne que les fantaisies surréalistes, s'attarde peu sur les rayons de la bibliothèque. En revanche, son oeil est attiré par un portrait d'Elisa, photographiée aux Etats-Unis dans les années 1940. Plus don juan que jamais, le président s'extasie sur les traits de la jeune femme. Puis, un peu dérouté par cet appartement qui tient autant du musée dada que du cabinet de curiosités, il prend congé. Il ne donnera jamais suite. Le 9 novembre 1988, d'anciens surréalistes proches de Breton lui avaient fait parvenir un dossier complet sur les richesses du 42, rue Fontaine, via Béatrice Marre, son chef de cabinet. Eux aussi se sont heurtés à un silence poli. Le « Palais idéal du surréalisme » auquel ils rêvent ne verra jamais le jour.
Quinze ans plus tard, Elisa disparue, le musée Breton toujours au point mort, Aube, la fille du poète, a dû se résoudre à une douloureuse extrémité: la dispersion totale