Le mal et la beauté
Tout le problème (qui n’est pas propre à Giono) est que les critères esthétiques concordent rarement avec le Bien et le Mal. Très souvent, notamment dans les âmes fortes, se retrouver sous l’emprise d’une belle personne c’est aussi se retrouver séduit par une figure du mal. C’est d’autant plus tragique que le Bien aussi peut être beau.
Cartouche et Firmin sont décrits comme beaux alors qu’ils sont profondément mauvais ; Mme Numance elle est magnifique et bonne.
Alors comment s’y retrouver ?
Il y a un rapport paradoxal entre le mal et le beau : le mal n’est pas incompatible avec le beau.
P.55 portrait pour le moins étonnant « il avait de petites moustaches…et gentil comme une fille ». Plusieurs choses :
-« et puis » : la beauté n’est pas une qualité comme les autres qui se comprend parmi les autres, c’est en plus, elle relève de l’exception, d’un supplément d’être, elle n’est pas forcément nécessaire. Dans ce monde de Giono envahie par la médiocrité, la beauté apparaît comme une difformité qui distingue celui qui la porte. (Dans Le moulin de Boulogne il est question d’une famille maudite dont les membres sont monstrueusement beaux. La plus belle, Julie, est bifrons, comme Janus, et sa beauté n’en ressort que davantage.) . Ici Firmin présente la beauté comme une sorte de stigmate. Il n’est pas bifrons mais ambigu : il est « robuste » et « comme une fille ». C’est un mélange invraisemblable de virilité et de féminité, un être hybride. Un être qui est tout à la fois viril et féminin peut faire penser à la marque du diable, c’est ce qu’on appelle un personnage épicène (qui présente une ambivalence sexuelle). Or la capacité de séduction de Firmin est directement fonction de sa nature suspecte. A la fin, p.340, le personnage qui devient le modèle de la beauté est Thérèse. L’image du cordonnier n’est pas sans rappeler l’enfance de Giono, la figure de son père qui était cordonnier. Ici l’idée c’est que la beauté de Thérèse n’est pas naturelle