Le petit prince
Ce chapitre recèle, sous un ton presque anodin, la Vérité qui, dans ce conte, tient sans doute le plus à coeur à SaintExupéry.
Comment présenter aux hommes (et en temps de guerre) les valeurs des relations humaines sans écrire des banalités ou formuler un traité de morale ou de philosophie? En choisissant un renard, au visage inhabituel, pour devenir son porte‑parole et en faisant de l'animal le « personnage» détenteur du secret recherché par son héros de conte, Saint‑Exupéry est parvenu à transmettre avec originalité et légèreté un lourd message qui va droit au coeur du lecteur.
Dans le cadre du récit, la rencontre du renard signifie pour le petit prince le dépassement de la solitude; de plus, l'expérience de l'apprivoisement lui livre le secret qui redonne un sens à sa vie en revalorisant son amour pour la rose.
Cet épisode correspond à la découverte de la princesse, la victoire sur le dragon ou la conquête du Graal, c'est‑à‑dire qu'il représente l'aboutissement de la quête du héros et met un terme à ses péripéties. Ayant accompli sa mission, celui‑ci peut donc prendre le chemin du retour; seuls l'aiguilleur et le marchand de pilules viendront retarder cette marche de retour.
Dans ce passage, le narrateur s'est complètement effacé du récit, ne laissant en scène que le petit prince et le renard. Le lecteur a donc momentanément oublié le cadre extérieur de la narration, celui d'une autre rencontre, celle de l'enfant et de l'adulte. Or, ce qui est intéressant, en ce qui concerne le déroulement du récit, c'est la façon dont le message du renard se transmet une seconde fois, à un moment ultérieur. La marche vers le puits (chap. XXIV) retrace le même itinéraire, suivi par le narrateur et l'enfant, mais c'est cette fois le petit prince qui, se substituant au renard, permet à l'adulte d'accéder à la même Vérité. Le motif du secret et de sa transmission ne s'épuise donc qu'à ce moment‑là.