Le poids du souvenir
Introduction :
Comme Ernest Jünger l’a constaté en 1930, la guerre de 1914-1918 se distingue des guerres précédentes, d’un côté, par le déploiement extraordinaire des forces économiques, militaires et technologiques et, de l’autre, par la mobilisation totale des populations civiles qui lui ont accordé une nature de credo. D’après E. Jünger, la guerre totale n’est pas seulement une réalité militaire ou économique mais également « un phénomène d’ordre culturel ». Cet aspect culturel et idéologique de la guerre totale a été par la suite mis en avant par John Horne qui a traité la mobilisation nationale pendant la Grande Guerre comme un ensemble de croyances et de représentations collectives concernant le sens de la guerre et l’ennemi qui visaient à structurer l’expérience de la guerre et à mobiliser ou encore à remobiliser la société civile en faveur de la guerre. Selon J. Horne, la mobilisation des populations civiles consistait en un phénomène synthétique, une procédure culturelle et politique qui a nécessité à la fois l’implication des élites politiques et sociales et l’auto-mobilisation de la société civile. En plaçant les hommages de la guerre sous le spectre de la mobilisation nationale et de la culture de guerre, nous souhaitons démontrer comment ils ont tenté de conceptualiser le deuil collectif et d’arbitrer les sentiments contradictoires que suscitaient la mort de masse et les impératifs de la poursuite de la guerre jusqu’à la victoire finale. Il s’agit en fait d’interroger l’image de l’ennemi et le sens de la mort féconde, c’est-à-dire la mort qui est socialement utile pour les vivants mais qui, en même temps, valorise le mort qui a risqué sa vie pour ses valeurs.
I. Origines et influences du mouvement commémoratif de la guerre * en 1918, on compte près de dix millions de morts * en 1945, au moins cinquante millions * en 1943-1944, le juriste Raphael Lemkin a inventé le concept de génocide pour nommer