Le prudhomme qui sauva son compère de la noyade Un pêcheur était allé en mer avec son bateau pour tendre ses filets. En regardant les flots, il vit juste devant lui un homme sur le point de se noyer. Il était énergique et habile ; il bondit , prit un grappin et le lança. Mais le grappin frappa le naufragé en plein visage et lui entra dans l'œil. Néanmoins le pêcheur ramena l'homme jusqu'au bateau et, sans plus attendre, laissant là ses filets, il revint au port. Il fit porter le blessé dans sa maison, le soigna et le servit jusqu'à ce qu'il fût rétabli. A quelques temps de là, le rescapé s'avisa qu'ayant perdu un œil, il avait subi un grand dommage : « Ce vilain m'a crevé l'œil et il ne m'a pas dédommagé. Je vais aller porter plainte contre lui pour l'ennuyer un peu. » Il alla donc se plaindre au maire du village et celui-ci les convoqua pour un jour prochain. Le jour dit, les deux parties vinrent au tribunal. Celui qui avait perdu un œil parla le premier car c'était lui le plaignant.
«Seigneurs, dit-il, je porte plainte contre cet homme qui, il y a quelques jours, me frappa méchamment avec un grappin : il m'a crevé l'œil, me causant ainsi un très lourd dommage. Je veux qu'on me rende justice ; je ne demande pas plus et je n'ai rien à dire d'autre. » L'autre répliqua sur le champ : « Seigneurs, c'est vrai que je lui ai crevé l'œil et je ne peux pas le contester. Mais je veux vous expliquer comment cela s'est passé afin de savoir si j'ai eu tort. Cet homme était en péril de mort, abandonné aux flots et sur le point de se noyer. Je lui ai porté secours et, je ne le cache pas, je l'ai frappé avec mon grappin. Mais c'est pour son bien que j'ai fait cela : car ainsi je lui ai sauvé la vie. Je n'ai rien d'autre à ajouter. Pour l'amour de Dieu, rendez-m'en justice. » Les juges étaient fort perplexes pour rendre une sentence. Mais un bouffon qui assistait au procès leur dit : « Qu'attendez-vous? Ordonnez que cet homme qui parla en premier soit remis à la mer,