Le sang noir, commentaire
Deux courtes tours, nues et carrées, péremptoires comme deux commandements quelconques du décalogue, figuraient assez bien les cornes aveugles de la bête et, entre les tours, le porche bas – c’était pourtant bien un porche – ne pouvait signifier autre chose qu’un front immense, épais, carré, obscur, avec, au-dessus, des piliers énormes, seules rondeurs dans cette carrière, et qui évidemment étaient les pattes. La croupe s’étendait, immense, formidable, occupait plus d’un tiers de la place dans une immobilité dont le spectacle engendrait la frayeur. Telle était la bête. Comme pour les foires elle était décorée. On lui avait mis partout des petits drapeaux et sur toute la largeur de son front se déroulait une banderole portant une inscription patriotique. Or, ce bœuf, il n’y avait pas si longtemps qu’il était là. Les plus vieilles gens de la ville se souvenaient d’avoir connu à sa place un cimetière.
Un beau jour, le bœuf était arrivé dans le cimetière, il s’y était rué, grattant la terre de ses sabots et faisant sauter les morts. Plus de cimetière. Mais les morts s’étaient vengés : ils avaient aussitôt transformé les maisons qui entouraient la place en tombeaux et c’était là qu’ils demeuraient depuis sous des déguisements divers. On pouvait sonner à leurs portes ; ils ne se montraient jamais sans masques. Généralement,