Le sociologue, peut-il etre neutre?
Lorsqu’en 1995 le sociologue Pierre Bourdieu s’est lancé dans le mouvement social aux côtés des grévistes, il a provoqué un scandale dans le milieu académique. Son engagement a été considéré comme un manquement au principe de neutralité, souvent considéré comme l’une des conditions du discours scientifique.
Mais le sociologue peut-il être neutre ?
La notion de neutralité renvoie à l’autonomie du discours sociologique qui doit être indépendant aussi bien du jugement subjectif du chercheur que des influences d’une autorité extérieure. Elle est donc liée à la fois au problème de la démarche scientifique, bien éclairée par les épistémologues tels que Bachelard qui insiste sur la nécessité de « conquérir » un fait scientifique contre ses préjugés, et à celui de la cité scientifique idéale au sens mertonien, où des chercheurs désintéressés se livrent au travail de réflexion gratuite à l’abri de toute pression de la part de la société.
Mais si la nécessité de la neutralité semble bien faire partie de la déontologie commune des scientifiques, le cas du sociologue pose des problèmes particuliers. Contrairement aux sciences dites « exactes », où la posture du chercheur peut plus aisément être définie par des critères formels, la tâche est autrement délicate en sciences humaines, et spécialement en sociologie. D’une part le sociologue fait effectivement partie de l’objet de son étude, la société ; d’autre part, en tant que discours scientifique de la société sur elle-même, la sociologie fait partie des disciplines les plus exposées aux pressions des forces sociales concurrentes. On analysera d’abord les obstacles qui semblent interdire la neutralité au sociologue ; on se penchera ensuite sur les solutions que le sociologue peut mettre en œuvre afin de se rapprocher de la neutralité ; on se demandera finalement si ce n’est pas en abandonnant la quête de la neutralité absolue que le sociologue arrive,