Le temps
|Les philosophes sont-ils plus patients ? |
| Nous partirons de l’admirable tableau de Goya, qui se trouve au Prado, Saturne dévorant ses enfants. Qu’y voit-on ? Le vieux |
|Cronos, fils d’Ouranos et père de Zeus, avalant de sa bouche d’ombre le corps ensanglanté d’un de ses fils, encore mal dégagé |
|de la gangue, de la matière primitive… Et pourquoi ? Par crainte, bien sûr, par crainte qu’un de ses fils ne lui fasse ce |
|qu’il a lui-même fait à son père : le déloger du trône où siège le dieu des dieux. |
| Oui, belle allégorie, qui nous dit en vérité ce qu’il en est du temps ! Car Chronos se conduit bien comme Cronos ! Tout se |
|qu’il fait, il le défait ; tout ce qu’il construit, il le détruit ; tout ce qu’il fait apparaître dans l’être, il finit par |
|l’en faire disparaître… |
|puissance du temps |
| Cela s’appelle, en « patois » philosophique, l’efficacité du temps, terme qui indique que le passage du temps sur un être |
|n’est jamais sans effets. Et certes, le temps altère (rend autre), aliène, corrompt, déforme, abîme, use, transforme tout ce |
|sur quoi il passe : toute puissance du temps ! Toute puissance qui se marque certes plus vite sur ce visage-ci que sur ce |
|visage-là, mais se marque cependant sur eux deux ; toute puissance qui se marque certes plus vite sur la rose que sur |
|l’étoile, mais se marque cependant sur elles deux. Toute puissance dont témoigne également, et au combien, son irréductible |
|irréversibilité[1]. Même un dieu ne peut pas