Le voyage au bout de la nuit
2A ce titre, le Voyage au bout de la nuit est révélateur : le voyage s’affiche dans le titre, comme une sorte de redondance, comme, enfant, l’on étrenne un cahier en calligraphiant « cahier » sur la page de garde, comme pour se conforter dans la typologie paratextuelle qui justifie aussi de sous-titrer « roman » un texte peut-être difficilement classable. L’ensemble du Voyage au bout de la nuit se structure aussi comme un voyage, ou une succession de déplacements, et de nombreuses remarques au fil du texte rappellent la cohérence thématique du roman. Mais ces efforts tentent vainement d’effacer l’impression que dégage le texte : ces voyages ne sont pas orientés vers un but, ne suivent pas d’itinéraire, ne se laissent même pas aller à la fantaisie vagabonde d’un voyageur dont le temps n’est pas compté. Aussi l’idée de « dérive » est-elle plus propre à décrire son mode de voyage, la déviation subie par un navire par rapport à la direction qu’il s’était fixée, sous l’effet des vents, des courants, bref de circonstances irrésistibles : Bardamu dérape, au sens propre, (comme on dit d’une ancre qui glisse sournoisement sur le fond) et tente mollement de rattraper des situations mal engagées. Dans toutes ses œuvres, Céline évoque un déplacement, d’une manière ou d’une autre, un ballottement :
Voyage au bout de la nuit donnait à cette errance, à l’échelle du roman tout entier, l’allure, sinon toujours d’un choix, du moins d’un mouvement accompli en connaissance de cause. Par la suite, comme le marque la formule promue au rang