Les aveugles charles baudelaire
Contemple-les, mon âme; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins; vaguement ridicules;
Terribles, singuliers comme les somnambules;
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,
Comme s'ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.Ils traversent ainsi le noir illimité,
Ce frère du silence éternel. O cité,
Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité,
Vois! je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ? |
Le sonnet « les Aveugles » appartient a la partie « Tableaux Parisiens » du recueil les Fleur du Mal.
Baudelaire va essayer de préciser l'impression très forte qu'il éprouve devant les aveugles, impression qu'il avait d'abord résumée d'une manière brutale et sommaire par l'épithète « affreux ». La première comparaison, avec les "mannequins", s'explique tout naturellement par le caractère mécanique de la démarche des aveugles, dû au fait qu'ils avancent tout droit sans tourner la tête à droite ou à gauche, et c'est à cause de ce caractère mécanique que Baudelaire les trouve « ridicules » [23]. Mais le ridicule, comme le rire, est le propre de l'homme, et c'est pourquoi Baudelaire, qui ne semble pas être tout à fait sûr que les aveugles soient vraiment des hommes, hésite et préfère dire qu'ils sont « vaguement ridicules ».
... Mais ce qui fait aussi qu'on hésite à les qualifier de « ridicules », c'est le fait qu'ils sont en même temps « terribles ». Il semble, en effet, bien difficile d'être à la fois ridicule et terrible [24]: d'ordinaire, quand on fait peur, on ne fait pas rire, et, quand on fait rire, on ne fait pas peur. Les aveugles font