les cerfs volants de kaboul
LES CERFS-VOLANTS DE KABOUL
Traduit de l’américain par Valérie Bourgeois
belfond
12, avenue d’Italie
75013 Paris
Ce livre est dédié à Harris et Farah, qui sont tous deux le noor de mes yeux, ainsi qu’aux enfants afghans.
1
Décembre 2001
Je suis devenu ce que je suis aujourd’hui à l’âge de douze ans, par un jour glacial et nuageux de l’hiver 1975. Je revois encore cet instant précis où, tapi derrière le mur de terre à demi éboulé, j’ai jeté un regard furtif dans l’impasse située près du ruisseau gelé. La scène date d’il y a longtemps mais, je le sais maintenant, c’est une erreur d’affirmer que l’on peut enterrer le passé : il s’accroche tant et si bien qu’il remonte toujours à la surface. Quand je regarde en arrière, je me rends compte que je n’ai cessé de fixer cette ruelle déserte depuis vingt-six ans.
L’été dernier, mon ami Rahim khan m’a téléphoné du Pakistan pour me demander de venir le voir.
Le combiné collé à l’oreille, dans la cuisine, j’ai compris que je n’avais pas affaire seulement à lui.
Mes fautes inexpiées se rappelaient à moi, elles aussi. Après avoir raccroché, je suis allé marcher au bord du lac Spreckels, à la limite nord du Golden Gate Park. Le soleil du début d’après-midi faisait miroiter des reflets dans l’eau où voguaient des douzaines de bateaux miniatures poussés par un petit vent vif. Levant la tête, j’ai aperçu deux cerfs-volants rouges dotés d’une longue queue bleue qui volaient haut dans le ciel. Bien au-dessus des arbres et des moulins à vent, à l’extrémité ouest du parc, ils dansaient et flottaient côte à côte, semblables à deux yeux rivés sur San Francisco, la ville où je me sens maintenant chez moi. Soudain, la voix d’Hassan a résonné en moi : Pour vous, un millier de fois, me chuchotait-elle. Hassan, l’enfant aux cerfs-volants affligé d’un bec-de-lièvre.
Je me suis assis sur un banc, près d’un saule, pour réfléchir aux paroles que Rahim khan avait prononcées juste avant de