Les conflits d'aujourd'hui
La question de la reconnaissance n'apparaît-elle que par la négative, autrement dit quand il y a déni de reconnaissance ?
J'ai commencé en effet à appréhender la question de la reconnaissance par l'analyse des sentiments négatifs de mépris, d'humiliation, d'atteinte à la dignité. J'étais alors convaincu qu'elle n'apparaissait que par la négative. Mais j'ai peu à peu pris conscience qu'on ne pouvait pas analyser ces sentiments et les luttes qu'elles nourrissent sans faire référence, en tant qu'observateur, aux principes positifs de reconnaissance mis en jeu. Il est sinon impossible de comprendre ce pour quoi ces personnes luttent, ce qu'elles recherchent. Si, en effet, la question de la reconnaissance survient dans la société à travers les sentiments de non-reconnaissance, nous ne pouvons pourtant les comprendre sans nous référer aux principes positifs de reconnaissance sur lesquels ils s'appuient.
Est-ce que tout conflit social doit être analysé comme une lutte pour la reconnaissance ?
Ma position sur ce point a évolué au cours de mes recherches. Au départ, mon projet était seulement de critiquer le modèle classique qui analyse les conflits sociaux comme des conflits d'intérêts. Selon ce modèle, vous présupposez des sujets ou des groupes de sujets qui ont certains intérêts prédéfinis, lesquels ne sont pas satisfaits dans les conditions données ; ces sujets luttent donc pour les satisfaire. Or, pour moi, il apparaissait qu'une partie en tout cas des conflits sociaux se comprenaient mieux en faisant intervenir des attentes morales, c'est-à-dire en les expliquant par des sentiments d'honneur bafoué, de mépris ou de déni de reconnaissance. Mais ce contre-modèle ne visait pas à analyser l'ensemble des conflits sociaux